Avant toute chose, Lizzie se serait bien passée de mourir. Alors cette seconde chance qui s'offre à elle sans trop qu'elle sache comment, elle n'appelle certainement pas cela une malédiction. Certes, certains disent, et ils sont nombreux, que les revenants sont les envoyés du diable. Lizzie ne se sent ni cruelle ni détestable. Ou du moins, pas plus que de son vivant. Mais promis, quand des cornes pousseront sur le dessus de son crâne, elle le fera savoir.
Lizzie est ravie. RA-VIE. A défaut de pouvoir respirer, elle peut rire, aimer, et faire tout ce qu'elle n'a pas eu le temps de faire de son vivant. Alors elle ne voit aucune raison de se plaindre. Certes, sa condition est diminuée: elle ne sent plus l'odeur des fleurs, ne voit aucune intérêt à manger son plat préféré, et ne pleurera plus jamais devant Titanic, mais au moins, elle est là, bien présente.

Lorsqu'elle réalisa qu'elle était morte, Lizzie cru à une mauvaise blague. Elle se sentait pourtant parfaitement vivante. Elle sentait le vent balayer ses cheveux, elle plissait les yeux face à la lumière imposante du soleil. Et surtout, elle était là, bien réelle. D'aussi loin qu'elle s'en souvienne, elle n'avait jamais cessé de l'être. Bien sûr, elle se souvenait de ce parc qu'elle traversait en promenant son chien, presque tous les soirs. Tout comme elle n'avait pas oublié ce chauffeur ivre qui l'avait renversé alors qu'elle traversait bien tranquillement sur le passage clouté. Elle se souvenait de la douleur, et de la peur. Des hurlements de son chien, jusqu'à ce que le chauffeur ne le fasse taire d'un violent coup de pied. Elle se souvenait des larmes qui avaient perlé au coin de ses yeux, et lentement coulé le long de ses joues. Mais le reste, jusqu'à cet instant précis, elle ne s'en rappelait pas.

« Tu as oublié ? »
« On dirait bien, oui. Tu le sais, toi, ce qui s'est passé? »
« Il t'a enterré vivante, Lizzie. Il avait bu, tu étais étendue sur la chaussée, mal en point. Il a prit peur, et il t'a fait monter dans le coffre. Avant de te faire disparaître. »

Lizzie souriait. Il n'y avait pourtant pas matière à rire. Mais elle avait l'impression qu'on parlait de quelqu'un d'autre. Elle ne pouvait pas être morte. C'était impossible. Les morts ne revenaient pas sur les lieux où ils avaient passé leur existence de mortels. Du moins c'était ce qu'elle pensait. Inconsciemment, elle secoua la tête. Comme pour se réveiller, se sortir de ce mauvais rêve qui avait duré trop longtemps. Elle ne se sentait pas différente, contrairement à ce que pouvait lui dire sa soeur. Lizzie, insouciante, était immédiatement rentrée chez elle, juste après son retour. Et face aux cris de sa soeur aînée, elle n'avait eu aucune réponse à lui fournir. Elle même ne comprenait pas ce qui se passait. Et puis, le silence avait reprit sa place, une seule pensée parcourant les esprits: Lizzie était revenue. Et qu'importe la manière, elle était là, c'est tout ce qui comptait. Et si dans le regard de ses deux soeurs on lisait encore la peur qui les avait saisie lorsqu'elles avaient revu Lizzie franchir le seuil de la porte comme si de rien était, la revenante semblait quant à elle plutôt à l'aise. Lizzie n'était pas le genre de gamine à prendre peur pour un rien. En fait, elle était solide comme un roc. Elle n'avait jamais eu peur de la mort, malgré son jeune âge. Et de sa propre mort, elle ne se rappelait rien, ou si peu.
Deux ans s'étaient passés au cours desquels les sœurs de Lizzie avaient eu le temps de faire leur deuil. Elles avaient donc toutes les peines du monde à se faire à son retour. Et à dire vrai, Lizzie ne leur facilitait pas la tâche. Multipliant les remarques face à son retour, elle tentait de comprendre, plus fascinée par le phénomène que réellement apeurée. Et même si elles tentaient de faire bonnes figures, même si la perspective de reprendre leurs vieilles habitudes et de poursuivre leurs interminables discussions étaient des choses dont elles se réjouissaient, les sœurs de Lizzie ne parvenaient pas à oublier ce détail que la jeune fille avait quant à elle bien vite laissé de côté: Lizzie était morte. Et cette mort, violente et inattendue, avait laissé sa marque au sein du domicile familial. Sa mort avait longtemps était un sujet tabou pour la famille, et les cicatrices ne s'étaient jamais vraiment refermées. Lizzie avait bien malgré elle fait ressurgir une intense douleur chez ses sœurs. Naturellement, celles ci passaient leur peine sous silence. Il en avait toujours été ainsi chez les Stepple-Jones. On avait l'habitude de tomber face aux coups du sort, on se relevait à chaque obstacle, se prétendant plus fort, même s'il n'en était rien. (...)